• Ces Américains soignés par tirage au sort

    En septembre dernier les patients font la queue plus de9 heures pour se faire soigner dans une clinique dentaire gratuite à Brighton (Colorado) ou (ci-contre).Ci-dessous à Miami, une clinique spécialisée pour les enfants. Crédits photo : AFP

    En Virginie, des médecins prennent en charge gratuitement les exclus du système de santé.

    La santé est une loterie. Plus que n'importe qui, les 75 personnes qui font la queue en silence, ce mardi, devant le bâtiment flambant neuf de la clinique privée gratuite d'Arlington en Virginie, pourraient souscrire à ce banal constat. Car aujourd'hui, ils participent à un tirage au sort bien particulier. Celui qui leur donnera, ou non, accès à des soins médicaux dont ils sont privés faute d'être détenteurs d'une assurance-maladie comme 47 millions de citoyens ou résidents légaux à travers l'Amérique. Pour certains, c'est une question de vie ou de mort. L'espoir de traiter enfin un diabète ou une insuffisance cardiaque qu'on a laissé s'installer… Pour d'autres, il s'agit de financer une chimiothérapie, après un cancer opéré aux urgences d'un hôpital. «Beaucoup ont des problèmes de santé graves car ils ne se soignent pas. Ils viennent quand ils ne peuvent faire autrement », explique Corrine Lahti, médecin volontaire à la clinique.

    L'espoir d'une guérison

    Une responsable distribue des lettres de l'alphabet sur papier orange aux participants. Enrique Castillo, le bras droit lourdement plâtré, a tiré le «N». Ce citoyen américain d'origine mexicaine, qui vit à Arlington depuis quinze ans et touchait un bon salaire dans le bâtiment jusqu'à la crise, a perdu son travail en même temps que son assurance-maladie. S'il est «chanceux» et s'il remplit les critères de l'établissement (habiter le comté d'Arlington depuis plus d'un an, avoir plus de 18 ans et moins de 65, n'être détenteur d'aucune assurance), sa fracture sera prise en charge. Mais s'il ne fait pas partie des 20 heureux élus, il devra retenter sa chance dans quinze jours. Et ainsi de suite, jusqu'à ce que le sort lui sourie. «C'est le moyen de sélection le plus juste que nous ayons trouvé», soupire Jody Kelly, responsable de l'administration, qui avoue avoir «de plus en plus de mal» à supporter cette procédure poignante.

    Sous le regard plein d'espoir des patients installés dans le hall, c'est pourtant elle qui plonge sa main dans l'urne pour le tirage. Le silence est lourd. Il y a beaucoup de Latinos et de Noirs. Fortunata, une Américaine d'origine péruvienne qui a sacrifié sa matinée de travail chez Macy's où elle gagne 7,60 dollars de l'heure, tripote nerveusement son «J».


    Des classes moyennes fragiles

    «B», dit Jody. Plusieurs personnes se lèvent cachant mal leur joie. Jody recommence. Cette fois, c'est «N». «J'ai de la chance», dit sobrement Enrico, soulagé. C'est en faisant de la peinture chez des particuliers qu'il est tombé d'une échelle et s'est cassé le bras. Il a été emmené aux urgences. Montant de la facture : 60 000 dollars ! Enrico dit que l'hôpital a accepté un échelonnement de sa dette et que «ses amis vont l'aider» en attendant qu'il retravaille. Mais sans la clinique gratuite, il ne pourrait se payer la rééducation de son bras. Comme la loi américaine l'y oblige, l'hôpital l'a opéré quand il a été amené aux urgences. Mais se désintéresse de son cas, puisqu'il n'est pas assuré.

    Une histoire typique, affirme Jody. Car si certains patients sont des sans-papiers, la plupart sont «des Américains de la classe moyenne inférieure n'entrant pas dans les critères de Medicare et Medicaid, assurances d'État fournissant une couverture maladie aux plus pauvres, aux personnes âgées et aux enfants». «C'est toute l'ambiguïté du débat sur la réforme Obama, explique-t-elle. Les gens pensent qu'elle avantage les marginaux, mais ceux-là sont déjà couverts ! Le projet Obama vise les classes moyennes fragilisées, qui gagnent trop pour coller aux critères de Medicaid et pas assez pour avoir une assurance ! Les opposants à la réforme ne réalisent pas que la ligne de partage entre les assurés et les autres est ténue ! Avec l'envolée des coûts des polices privées, beaucoup doivent renoncer à leur couverture ». Avec la crise économique, le problème acquiert des proportions colossales, près de 10 000 personnes perdant leur assurance chaque semaine selon la Maison-Blanche.

    C'est parce qu'ils ne supportaient plus de voir dans leurs cabinets des patients incapables de payer, que des médecins d'Arlington se sont mobilisés il y a quinze ans pour créer la clinique gratuite et pallier, à leur manière, les failles béantes du système de santé du pays le plus riche du monde. Une fondation financée par des donations a été mise en place. Quelque 500 volontaires dont 150 médecins donnent de leur temps. Le remarquable travail de la clinique illustre le rôle clé du caritatif et du volontariat dans une Amérique, où l'État, à l'inverse de la France, reste minimaliste. Mais Jody Kelly souligne que la clinique, avec ses 10 000 consultations par an «ne parvient pas à faire face aux demandes croissantes». L'hôpital fédéral d'Arlington, qui a lui aussi des patients au parcours similaire, affiche une liste d'attente «de plusieurs mois» et ne rembourse pas les médicaments.

    «Le résultat, dit Jody, c'est que les gens finissent aux urgences avec des maladies gravissimes.» Vu le nombre de patients insolvables, les frais d'opération sont finalement souvent payés par le contribuable, démultipliant les coûts du système. «Il vaudrait mieux une option d'assurance publique, qui permette de mettre l'accent sur la médecine préventive», dit Jody Kelly, hostile à un «statu quo intenable». «Le système actuel est cher et les gens ne sont pas protégés !», insiste-t-elle. Fortunata, la Péruvienne américaine, elle, n'a pas vraiment d'avis. Elle froisse sa lettre J, referme son sac. «C'est bien le 20 octobre que vous tenez la prochaine loterie ?», demande-t-elle résignée à revenir.

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