• La grève des sans-papiers a repris de plus belle


    Depuis le lundi 12 octobre, plus d’un millier de travailleurs sans-papiers se sont mis en grève pour réclamer leur régularisation.
    Mercredi 14 octobre, on comptait près de 2 000 grévistes sur une trentaine de sites, dont l’agence d’intérim Synergie à Paris
    La tension est palpable. Dans le hall d’accueil de l’agence d’intérim Synergie, plein à craquer, près de 350 hommes font silence tout d’un coup. Maurice, le permanent CGT, monte sur une chaise : « On est ici pour convaincre le gouvernement de changer de politique. Mais ça peut prendre du temps. Alors je vous demande un peu de calme parce qu’on est ici un des plus gros piquets de grève du mouvement. » Les questions fusent. « J’ai des fiches de paie mais avec un faux nom, comment je fais ? » « Mon patron m’a licencié, est-ce que vous pouvez m’aider ? » « J’ai un titre de séjour mais pas d’autorisation de travail… »

    Un an et demi après la première grève coordonnée de sans-papiers lancée en avril 2008 par la CGT et Droits devant, le mouvement est donc reparti lundi. Car si, depuis, la CGT a obtenu 2 500 régularisations, « les critères sur lesquels s’était engagé le gouvernement au printemps ne sont pas respectés, d’où cette nouvelle grève », explique Raymond Chauveau, qui coordonne les luttes de sans-papiers à la CGT. Dans une lettre adressée à Matignon le 1er octobre, cinq syndicats (CFDT, CGT, FSU, Solidaires, Unsa) et six associations (Cimade, Ligue des droits de l’homme, RESF, Femmes Égalité, Autremonde, Droits devant) soulignaient des disparités de traitement « selon les départements et même entre des salarié(e)s de situation parfaitement identique ». Ils réclament une nouvelle circulaire définissant des critères « améliorés, simplifiés, appliqués dans l’ensemble du territoire ».

    « Ça arrange tout le monde une main-d’œuvre hyperflexible »

    Cette inégalité de traitement, Babakar estime en faire les frais. Coffreur dans une entreprise où trois collègues exerçant le même métier ont été régularisés par la préfecture de Bobigny, il a, lui, essuyé un refus de la préfecture de Créteil, malgré le soutien de son patron. Mais Babakar va sans doute être redirigé vers un autre piquet de grève. Car ici, à deux pas de la gare Saint-Lazare, comme dans quatre autres agences d’emploi temporaire occupées à Paris, la majorité des grévistes présents sont intérimaires. Une catégorie de sans-papiers pour lesquels la CGT n’a obtenu qu’une centaine de régularisations, en dépit de l’engagement, en décembre 2008, du gouvernement à faire appliquer des critères spécifiques à l’intérim. « On nous demande tel papier ici, tel autre là, s’énerve André Fadda, de la branche intérim de la CGT. En fait, les préfectures bloquent parce que ça arrange tout le monde d’avoir une main-d’œuvre hyperflexible. »

    Flexible ? « Quand j’ai été dire à ma boîte d’intérim que j’étais en grève, ils m’ont dit que c’était la fin de ma mission », raconte cet intérimaire manutentionnaire, qui travaillait de nuit de 23 heures à 7 heures. Son voisin, manœuvre dans le bâtiment, affirme, lui, être payé « 900 € par mois, quel que soit le nombre d’heures qu’on fait ». « Si tu protestes, si tu es fatigué, ils te disent que tu n’as qu’à t’en aller, parce qu’il y aura toujours un autre sans-papiers pour prendre le boulot », précise, un peu plus loin, Aboubacar, qui travaille depuis onze ans avec des faux papiers, qu’il a payés l’équivalent de 4 000 €. Pourtant, estime-t-il, les sans-papiers forment déjà la majorité des effectifs dans certains métiers : « Dans une société de ménage où j’ai travaillé, il y avait 45 salariés, dont 27 sans-papiers. »

    Pas d’assurance-chômage, trop risquée à cause des contrôles

    Dramé, lui, gagne « bien » sa vie : 1 300 € par mois. Du moins quand il travaille. Car, entre deux missions, la plupart des sans-papiers ne perçoivent pas l’assurance-chômage, trop risquée à cause des contrôles. « Et tes heures supplémentaires, elles te sont payées ? Et la prime de panier ? Et la prime de transport ? », questionne André Fadda. Dramé lève les mains et sourit, en signe d’impuissance. Beaucoup d’intérimaires sans papiers sont africains et ne maîtrisent guère les subtilités des conventions collectives.

    Ce n’est pas le cas de Doumassi. « Depuis le 5 janvier et jusqu’à maintenant, tous les jours, de 8 heures du matin à 16 heures, je suis au marteau-piqueur. Normalement je devrais avoir 50 € de prime de marteau par semaine pour ça. Mais déjà que j’ai du mal à me faire payer mes heures supplémentaires ! » Pourtant, la plupart des sans-papiers préfèrent se taire plutôt que de protester. Leur hantise : les contrôles, qui se multiplient. Interpellé en situation clandestine sur un chantier, Ibrahim a ainsi été renvoyé au Mali en 2005. Mais, quelques mois plus tard, il était de retour. « Qu’est-ce que vous voulez que je fasse là-bas, sans travail ? » Ici, quand il a une mission à plein-temps, Ibrahim gagne 1 500 €. De quoi envoyer 300 € au pays.

    Nathalie BIRCHEM

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