• Les sans-papiers victimes de l’idéologie


    Centres de rétention indignes, rafles, culture de l’arbitraire : pour cette journaliste mexicaine, la France ne ressemble pas exactement à une “terre d’accueil”. Reportage.
    Caché à proximité des pistes d’atterrissage de Roissy, le Centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot est lugubre en cette matinée glaciale. Le centre est ceint de deux énormes grilles métalliques renforcées à certains endroits de fil barbelé. Entre ces deux grilles, plusieurs gardiens de la paix font des rondes. Derrière ces remparts de métal se trouvent six bâtiments identiques de plain-pied d’une moderne austérité. Sur l’impeccable pelouse, des hommes se promènent, seuls ou en petits groupes, certains la tête baissée. Le bruit des avions est assourdissant et l’odeur du kérosène insupportable. La scène est d’un réalisme implacable. Rien ne semble pouvoir la perturber. Tout à coup, un jeune homme s’aperçoit de la présence des journalistes plantés derrière les grilles. Il s’approche. Il veut nous parler. Il donne sa nationalité mais préfère rester anonyme. Il est algérien et n’a pas de papiers, il vit et travaille en France depuis six ans et demi. Il a été arrêté dans une rue de son quartier lors d’un coup de filet et il est enfermé dans ce centre depuis treize jours avec une centaine d’autres sans-papiers.
    D’autres hommes le rejoignent. Eux aussi ont besoin de parler. Ils se mettent à parler tous en même temps. Les mots s’entrechoquent. Chacun lance des bribes de son histoire comme autant de bouteilles à la mer. Kirghizistan, Mali, Soudan, Tunisie, Maroc, Moldavie, Albanie, Pakistan, Irak, Turquie, voilà d’où ils viennent. Et pour leurs autres compagnons d’infortune : Sri Lanka, Haïti, Territoires palestiniens, Roumanie, Afghanistan, Chine. C’est un spectacle saisissant de voir ces hommes originaires de tous les continents agglutinés derrière la même grille.
    D’après ce qu’ils disent, les sans-papiers se répartissent en deux catégories : ceux qui, de passage en France, cherchaient à gagner une autre destination quand ils ont été arrêtés, et ceux, plus nombreux, qui sont installés en France depuis des années, y travaillent, y mènent une vie organisée et y ont parfois même fondé une famille.
    David vient de passer dix-sept jours dans le centre du Mesnil-Amelot et il doit sa libération à une erreur de procédure. “Là-bas, on se sent comme des rats en cage, raconte-t-il. On ne nous dit jamais rien sur notre situation, ils ne font que nous répéter qu’on va bientôt monter dans un avion et retourner dans notre pays. Ils nous parlent comme à des chiens et nous traitent comme des criminels. Et, quand on leur dit que notre seul tort, c’est de ne pas avoir de papiers, ils nous insultent. On ne fait rien de la journée. Personne n’a envie de jouer au ping-pong ou de regarder la télévision. Alors on tourne en rond. Et on finit par aller chercher des calmants et des somnifères à l’infirmerie. J’en ai avalé, des comprimés, mais j’avais toujours cette boule d’angoisse dans la poitrine. Elle ne m’a pas quitté pendant dix-sept jours et dix-sept nuits.”
    Evidemment, David n’est pas son prénom. Il accepte seulement de me dire qu’il est originaire du Caucase. Il est arrivé en France en 2001, à 15 ans, avec ses parents et ses frères. La famille s’est installée à Nancy. Ils n’ont jamais réussi à régulariser leur situation. David a appris le métier de charpentier. Ses parents avaient un travail, ils payaient des impôts et avaient l’illusion de vivre presque normalement. Le rêve a pris fin en juin dernier. La famille a été expulsée. David a réussi à s’enfuir. Mais il sait qu’à tout moment on peut venir l’arrêter. En sortant du petit local syndical où nous nous sommes rencontrés, dans un quartier populaire de Paris, il observe avec précaution alentour. Il dit avoir acquis un sixième sens qui lui permet de détecter immédiatement les policiers en civil qui rodent à proximité des centres d’aide aux sans-papiers.
    Il n’est pas rare que la police fasse irruption au domicile des sans-papiers ou dans les hôtels qui les accueillent pour arrêter des familles entières. Parfois, ils opèrent à l’aube ; d’autres fois, ils le font en plein jour et sans retenue afin d’intimider les autres sans-papiers. Les pères de famille sont humiliés devant leurs enfants, les domiciles saccagés, les cris et les coups pleuvent et même les voisins sont menacés de représailles. Il y a évidemment de nombreuses arrestations sur le lieu de travail, mais aussi dans les restaurants, les cafés et les magasins fréquentés par les immigrés. La police a également recours à des méthodes plus sournoises : la préfecture convoque les sans-papiers pour “examiner” leur dossier de régularisation. Une fois sur place, ils sont immédiatement arrêtés par la police et conduits dans un centre de rétention.
    Tous les jours, des patrouilles de police en uniforme ou des petits groupes d’agents en civil arpentent les couloirs du métro et les gares des grandes villes. La nuit, ils multiplient les coups de filet dans les quartiers populaires.
    Et, comme si cela ne suffisait pas, les ONG affirment que les autorités demandent aux instituteurs, aux travailleurs sociaux, aux inspecteurs du travail et aux propriétaires de “signaler”
    “Nous en arrivons à des situations extrêmes”, dénonce Damien Nante, porte-parole du Comité ­inter­mouvements auprès des évacués (CIMADE). “Il y aurait entre 200 000 et 400 000 immigrés clandestins en France. Au dire des experts, ces trente dernières années, le flux migratoire s’est autorégulé et la France ne court pas le moindre risque d’‘invasion’. En outre, les entreprises disent avoir besoin de la main-d’œuvre immigrée, qui est indispensable dans certains secteurs de l’économie. Il faut être clair : cette exigence de 25 000 expulsions par an qui fait tant de ravages et crée un climat chaque jour plus malsain dans notre pays est purement idéologique.”
    les cas de sans-papiers qu’ils pourraient rencontrer. Depuis le 11 mars dernier, les employeurs sont d’ailleurs dans l’obligation de faire parvenir à la préfecture de leur département une copie des contrats de travail des étrangers qu’ils embauchent."

    Courrier international.com
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