• Sondage : entre les chiffres

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    Chaque mois, Paris-Match publie un de ces sondages qui ont fait sa réputation, un sondage de l'Ifop sur «le classement des personnalités politiques». On ne classe pas leur efficacité, leur fiabilité, leur esprit d'initiative, la pertinence de leurs propositions, leur assiduité parlementaire, le nombre d'emplois créés par leurs mesures. Non. On les classe, point. Comme en classe, justement. C'est un sondage simplement un peu moins absurde que celui du Journal du Dimanche (autre publication Lagardère) qui mêle Yannick Noah et Sarkozy, dans le classement des «personnalités préférées des Français», mais un peu absurde tout de même. Disons qu'à notre propre classement des sondages idiots préférés du chroniqueur, il se classe bon deuxième.
    Parmi les personnalités classées, certains exercent une responsabilité effective (Sarkozy), d'autres n'en ont aucune (Rama Yade), ou parfois encore moins (Jacques Chirac). Or donc, sonnez trompettes, voici l'événement du mois : Chirac a détrôné Rama Yade, comme personnalité préférée des sondés de Match. Deuxième événement : Royal est en baisse. Ce sont d'ailleurs les deux titres choisis par Match pour la double page relatant l'événement : «Ségolène Royal traverse une très mauvaise passe», et «Jacques Chirac plébiscité». Larges reprises dans toute la presse.

    Première question : pourquoi Match entremêle-t-il ainsi des politiques en activité, et des retraités ? Poser la question, c'est y répondre : le mélange n'a aucun sens. C'est comme si l'on demandait : que préférez-vous pour le petit-déjeuner, de bonnes tartines craquantes ou une sublime potée aux choux ? Mais il permet de produire un résultat baroque, intrigant, paradoxal, inattendu, et donc hautement médiatisable. Ce qui, en l'espèce, fut le cas, les radios informant leurs auditeurs, deux matins de suite, de la grande nouvelle du détrônement de Rama par Jacques.

    Aucun sens ? Voire. Une lecture attentive des résultats du sondage permet de voir que Match«D'une certaine manière, c'est un message à l'actuel président qu'envoient les Français en plébiscitant son prédécesseur», conclut le sondeur Jean-Luc Parodi, à la fin de son papier d'analyse des résultats. Certes, il faut chercher cette explication à la loupe. Mais elle figure bel et bien dans la double page. Et nul ne doute qu'elle aura été lue avec attention à l'Elysée. Nicolas, sur ce coup-là, ne remerciera pas son ami Arnaud (Lagardère).

    Pourtant l'hebdomadaire, dans cette double page, souhaite manifestement se racheter aux yeux de Sarkozy. Car concomitamment aux mouvements telluriques sur lesquels Match pointe ses projecteurs, Sarkozy est en baisse de six points. Sa popularité, explique Match, «souffre de la crise économique et sociale». Pourtant, ce n'est pas sur cette baisse spectaculaire qu'insiste Match, pas davantage que sur celle de Fillon (-8), mais sur celle de... Ségolène Royal, qui se situe entre les deux (-7). «Très mauvaise passe», donc, due à ses «excuses» prononcées à Dakar, pour... le discours de Dakar de Sarkozy. Pensez donc : «56 % des sondés pensent que ces propos sont injustifiés de la part d'une personnalité qui n'est pas au pouvoir», insiste Match qui, en revanche, se garde de souligner que «55 % des sympathisants PS pensent au contraire qu'ils renforceront les liens de la France avec l'Afrique». Habituelle salade de chiffres. «La lecture des résultats du sondage n'est pas forcément négative pour Ségolène Royal, surtout quand on analyse les réponses des sympathisants PS», a d'ailleurs estimé un responsable de l'Ifop, interrogé par Le Post. Il lui reste à en convaincre son client, Match.

    Pourquoi Match «soigne-t-il» ainsi Royal ? Outre le fait qu'il s'agit de consoler Sarkozy du choc Chirac, sans doute est-ce en rapport avec le fait que Royal a attaqué (et fait condamner) voici quelques semaines l'hebdo de Lagardère, qui avait publié sa photo en compagnie d'un homme, en couverture. Petite vengeance.

    Cette vilenie sondagière n'est que la face émergée d'une obsession qui risque d'occuper les hebdos pendant un certain temps : la priorité absolue que constitue, à partir de maintenant, la préparation de l'élection présidentielle de 2012. L'Express titre sur François Bayrou, et lui consacre huit pages, avec interview (fortes reprises attendues) de François Hollande (aucune responsabilité effective). Hollande y lance à Bayrou un étrange appel crypté apparemment surtout destiné à ne pas être entendu. L'Obs se concentre sur Royal (trois pages : «Opération survie»), comme Le Point (trois pages : «le manuel de combat de Ségolène Royal»). Ne dites pas aux hebdos que des élections européennes se déroulent dans deux mois, et des régionales l'année prochaine : ils ne s'en sont pas rendu compte, ayant décrété que cela n'intéresse pas les Français. Sur la foi de sondages, certainement.

    Par Daniel Schneidermann

    libé

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