• Suzana Padua repeuple la forêt brésilienne

     

    Extrait du livre "Passeurs d'espoirs" pour lequel j'avais déjà fais un article ici. Un extrait pour vous donner envie de le lire si ce n'est encore fait ^^. (Droits d'auteurs des ouvrages reversés au profit d'associations humanitaires. )
    Et puis c'est le genre d'action dont on ne parle pas assez et qui donne envie d'entreprendre...

    Suzana et Claudio

    " Suzana Padua, le premier « pionnier » que nous devons rencontrer dans quelques jours, a proposé de nous héberger. Son association IPE, Institut pour le développement de l’écologie, gère plusieurs lieux d’accueil en pleine forêt, où les spécialistes peuvent côtoyer jour et nuit la nature et ses animaux. La perspective de débuter dans un lodge brésilien gardé par les jaguars et les singes nous réjouissait."

     

    Une région déshéritée

    […] Nous expliquons aux enfants que cette région du Brésil fait partie des plus déshéritées. La terre y est pauvre et la population aussi.

    « C’est dans cette partie du pays que sont regroupés des paysans sans terre, les landless people, depuis plus de vingt ans. Ils se sont organisés en mouvement pour essayer d’obliger le gouvernement à leur donner des terres à cultiver (17 hectares en moyenne). Il faut savoir que dans ces régions quelques personnes sont propriétaires de presque toute la surface alors qu’ils n’en cultivent qu’une faible partie.

    […] Afin d’obtenir gain de cause, ces familles s’installent au bord des routes, près des champs inexploités, dans l’espoir d’avoir le droit de les cultiver. En attendant, ils se construisent des cabanons et se protègent de la pluie avec le plastique des sacs poubelles.

    […] Ces paysans sans terre ne sont pas nés ici. Ils viennent là où ils espèrent qu’on leur donnera des terres. Mais ils sentent que la population locale ne veut pas d’eux. En plus ils ont peur de la forêt et de ses animaux sauvages. Pour survivre, ils braconnent, coupent les arbres pour s’en servir de bois de chauffage. Quand ils peuvent, ils travaillent quelques jours pour des récoltes. Ils essaient de cultiver des petits potagers près de leurs abris mais ils sont souvent chassés par la police. » […]


    L’histoire de Suzana Padua

    Dans les années 1980, Suzana subit la… « crise de la quarantaine » de son mari.
    Claudio est directeur financier international mais il décide de tout arrêter du jour au lendemain pour reprendre des cours à l’université de biologie.
    A cette époque, Suzana pense que la passion de son mari ne durera que le temps d’obtenir son diplôme. Pour faire subsister sa famille, elle travaille deux fois plus, Claudio oubliant de régler les factures d’électricité. Coupures de courant, menaces d’huissier, Suzana fait face. Mais la situation s’aggrave lorsque, diplôme en poche, Claudio quitte Rio pour Teodoro avec un salaire de misère pour se préoccuper du sort d’un singe considéré comme disparu de la planète et dont quelques spécimens ont été retrouvés dans cette unique forêt brésilienne.
    Suzana hésite à abandonner sa vie dorée à Rio et son métier de designer. Divorce ou résignation. Elle choisit de suivre son mari.
    Dans un premier temps, sa nouvelle vie à Teodoro est un enfer. Ils habitent dans la forêt où pullulent les moustiques. La santé de ses trois jeunes enfants l’inquiète, certaines piqûres provocant des ulcères.
    Suzana, débordante d’énergie, explose ! Même pas une salle de sport pour détendre ses nerfs à vif ! Finalement, elle lance le premier cours de gymnastique en s’improvisant professeur !

    […]A l’époque, Suzana ne voit même plus son mari : Claudio part à l’aube et rentre à la nuit tombée ! En désespoir de cause, Suzana décide de s’intéresser à la passion de son mari. A son tour d’explorer la forêt, de guetter les animaux, d’apprendre à les reconnaître, à les aimer… Connaître, c’est aimer !

    Et c’est le coup de foudre ! Suzana tombe amoureuse de ces singes, de ces oiseaux rares qui peuplent les arbres géants. Très vite, elle comprend que jamais les espèces ne seront préservés sans la sauvegarde de la forêt ; sans l’implication de ses prédateurs et destructeurs : les hommes !

    Elle découvre alors l’histoire de cette forêt rescapée dont il ne reste que 3% sur les 80% d’origine. Dans les années 1940, le gouverneur, magnanime, partage l’ensemble des terres de l’Etat entre ses onze meilleurs amis, tous déjà immensément pourvus. Ce sont eux les grands coupables qui ont pulvérisé par avion de l’agent orange – le même qu’au Vietnam quelques années plus tard – sur les étendues d’arbres. Ils préfèrent couper, raser, pour laisser paître les troupeaux. L’effet est radical : les feuilles tombent et il n’y a plus qu’à embrasser les troncs morts pour dégager l’espace. Avec un climat où se succèdent fortes averses et soleil torride, les terres dénudées s’appauvrissent rapidement et se désertifient.


    Quand Suzana commence à s’intéresser à la question, la cause de l’environnement préoccupe déjà la planète. Mais le plus souvent, les programmes de protection de la nature s’opposent aux préoccupations des plus démunis. Pour protéger l’environnement, de grands parcs sont créés, excluant les hommes et contraignant à l’exil ceux qui vivaient sur place. Constatant la situation économique et sociale des habitants, Suzana se forge une conviction visionnaire : la planète ne pourra être sauvée sans la participation active des populations locales et en particulier des plus pauvres. Forte de cette conviction, de sa passion pour la forêt et de son énergie retrouvée, elle va devenir un « héros malgré elle » ouvrant des voies nouvelles pour l’environnement et ses habitants.

    Un par un, Suzana va convaincre : les sans terre, les petits et riches fermiers. Son secret ? La forêt. Leur faire partager son propre émerveillement en créant des sentiers de découverte. Les habitants, fiers, prennent conscience de leur patrimoine. Après quoi, Suzana passe à un véritable programme de formation. Elle commence par les adolescents du village, plus ouverts que leurs aînés. En quelques mois, la côte des biologistes, profession inconnue jusqu’alors, est au zénith à Teodoro San Paio !

    « J’avais 16ans se rappelle Gracina. Je passais mon temps à réparer les mobylettes. JE voulais devenir mécanicienne ! Quand j’ai rencontré Suzana, cela a été comme une révélation. C’est elle qui m’a incitée à étudier. Mes parents étaient illettrés. Avec Claudio, ils ont financé ma formation à l’étranger alors qu’eux-mêmes n’en menaient pas très large . » En évoquant ses souvenirs, la voix de Gracina chavire. On comprend qu’elle doit beaucoup à ce couple : un avenir plus vaste et meilleur.

    […]

    « Avec l’aide et le complicité retrouvée de Claudio, Suzana met en application sa conviction. Elle sauvera la forêt avec le concours des habitants et des paysans. Concrètement, elle étudie les différentes activités agricoles ayant cours dans la région, puis développe pour chacune d’elles un projet d’agroforestation mixant la replantation d’arbres et l’activité agricole elle-même. Bien sûr, ce projet ne peut fonctionner que dans la mesure où l’agriculteur y trouve son intérêt. Elle déploie alors toute sa créativité d’entrepreneur pour expliquer, informer, convaincre. En commençant avec des parcelles expérimentales, elle démontre que le rendement agricole peut être démultiplié lorsque la forêt s’en mêle : planter du café seul sur ces terres arides est d’un rendement médiocre. Planter alternativement des pieds de caféiers et des pieds d’arbustes permet de fixer rapidement la terre, d’éviter de l’appauvrir en période de pluie puis de l’enrichir grâce à l’humus créé par les arbres. La plantation d’arbres recrée une biodiversité – l’eau s’infiltre plus facilement, l’humidité est maintenue par les racines. Il en va de même pour les arbres fruitiers, les cultures maraîchères, ou encore les zones de pâturage qui peuvent aussi reverdir. »


    Un bel exemple d’agroforestation 

    « Pour reconstituer la forêt, il faut que tous y gagnent ! J’apprends donc aux populations locales à planter différentes espèces : certaines pour le bois de chauffage, d’autres pour les fruits, d’autres encore pour enrichir le sol très pauvre de cette région. »

    Mais, comme Valentino nous le fait remarquer, même si, dans cette forêt tropicale, les arbres gagnent un mètre chaque année, les gens sont si pauvres qu’ils ne peuvent pas attendre. Alors Valentino, à la grande fierté de Suzana, a innové : « C’est pour cela que j’ai pensé au buch. C’est une espèce de fruit de la forme d’une courge qui s’épluche et libère une éponge végétale. Une fois séchée, cette éponge est une matière première précieuse que l’on peut transformer pour divers usages artisanaux. 

    […] Pour rendre ces éponges plus colorées et attractives, Suzana a dessiné des silhouettes animalières. Les fermiers cultivent le buch et le vende à l’association où cinq personnes travaillent à confectionner les éponges d’après les modèles de Suzana. Les profits de la vente sont ensuite investis dans la plantation de nouveaux arbres. »

     

    « Guérir » la nature en « guérissant » les hommes

    […] Térésina et Jorge ont vécu au bord de la route pendant des années. Ils travaillaient dans les plantations de coton comme des esclaves, en étant payés, à la journée, des salaires de misère qui leur permettaient à peine de survivre. Térésina a dû récolter le coton, travail pénible et épuisant, jusqu’au neuvième mois de sa grossesse !

    « Repenser à ces moments est, pour moi, un vrai cauchemar, confie-t-elle la gorge serrée. Le bord de la route est dangereux et insécurisant. Mais c’est surtout l’attente pleine d’angoisse et d’incertitude d’une hypothétique terre à cultiver qui était lourde à porter ! ».

    L’association joue un rôle de médiateur avec les pouvoirs publics pour permettre à ces paysans sans terre de s’implanter avec succès. Elle est en quelque sorte le garant de leur intégration. En leur apprenant à cultiver tout en replantant la forêt, elle contribue au développement de la région et les politiques le savent.

    Jorge nous explique : «  Sous la pression des industries fabriquant de l’engrais chimique, la culture traditionnelle s’est transformée en une monoculture intensive qui appauvrit le sol. IPE nous apprend à alterner caféiers et autres arbres fruitiers pour que le sol s’autorégénère. (…) Je savais cultiver le café, le coton, les arbres, m’occuper des animaux. Mais j’ignorais la manière de le faire en respectant la nature. C’est ce que m’a enseigné IPE. »

    On sent que, pour lutter contre les sarcasmes de ses pairs, il a bien fallu la confiance et l’amitié qui sont les fondements de l’action d’IPE. L’association a décelé dans ce couple un vrai potentiel de leader d’opinion. Elle a emmené Térésina en bus sur un projet pilote pour la convaincre que le café pouvait être lucratif. « Pourtant, les cours du café étaient si bas que personne ne voulait plus investir dedans », se rappelle Jorge. Mais il conclut fièrement : « Quelques années ont passé, et les degustadores ont décrété mon café biologique ‘meilleure saveur du Brésil’ ! »

    En percevant la fierté de cet homme, nous réalisons l’extraordinaire performance de Suzana : « guérir » la nature en « guérissant les hommes ».


    De l’écologie sociale

    […] « IPE, explique Laurie, est structurée en équipes autonomes, indépendantes et complémentaires les unes des autres. Suzana ne veut pas fragiliser le développement par une organisation pyramidale. Elle souhaite l’épanouissement de tous dans un cadre où chaque collaborateur puisse donner son plein potentiel. Alors la règle du jeu est simple : chacun doit poursuivre un projet personnel s’intégrant dans l’objectif de l’association. Chaque équipe est responsable de son propre autofinancement impliquant présentation de projet et recherche de fonds. IPE est organisée comme une flotille plutôt qu’un gros navire difficile à manœuvrer. »

    Laurie est à l’origine de la brillante idée d’associer le combat d’IPE pour la reforestation et le combat des « sans terre » pour accéder à la propriété. Auparavant, l’association travaillait uniquement avec les fermiers « établis ». En intégrant les « sans terre », Laurie a donné à leur combat une vraie perspective et un potentiel supplémentaire à l’ensemble du projet de l’association. Cette audace nous impressionne : permettre aux délaissés de la planète de devenir des acteurs de sa reconstruction !

    Laurie conclut la présentation de son activité en expliquant son travail universitaire : « Pour développer ses compétences au service d’IPE, chaque collaborateur doit s’inscrire dans une logique de formation continue et poursuivre en parallèle de son travail un cursus universitaire d’études et de recherche sanctionnées par des diplômes. Ainsi, chacun contribue au bon développement et à l’excellence de l’ensemble. »

     

    Une stratégie de reboisement réfléchie

    […] « Nous savions qu’il était trop ambitieux de vouloir couvrir toute la région de forêt. Nous avons imaginé un concept plus progressif de ‘‘corridors’’. Nous implantons des îlots d’arbres et les relions les uns aux autres par des couloirs boisés, en priorité le long des cours d’eau et sur les lieux de passage des animaux. Ceux-ci, bénéficient d’un territoire agrandi, se reproduisent mieux et parviennent à cohabiter avec l’activité humaine. » Convaincu, le gouvernement a signé une convention avec l’association IPE pour que, dans les années à venir, la forêt dans la région du Pontal passe de 3 à 20% de la superficie.


    L’implication de riches fermiers

    […] « Est-ce que les gens ‘‘sans terre’’ qui campent à votre porte sont une menace pour vous ?

    -         Je crois qu’ils font la différence entre les propriétaires terriens qui vivent à Sao Paulo et viennent épisodiquement survoler leurs propriétés en hélicoptère et ceux qui habitent sur place. Moi je vis ici et je gère moi-même ma ferme modèle depuis trente ans.

    -         Et que pensez-vous du travail d’IPE ?

    -         Les études, les chiffres mis à notre disposition par IPE, nous offrent des informations précieuses pour le développement de nos activités. »

    En nous raccompagnant jusqu’à notre véhicule, il ajoute :

    « Je suis très soucieux de la pauvreté de la région et du manque de débouchés pour les jeunes dont l’instruction est très limitée. C’est la raison pour laquelle je collabore activement avec IPE qui est une association très efficace. »

    Nous comprenons mieux pourquoi ce riche fermier a accepté aussi facilement de nous recevoir !


    L’Education, un rôle fondamental

    « Comme maîtresse, nous raconte Andréa, j’étais effarée de constater tout le gaspillage de papier des élèves. Les cahiers à moitié écrits, jetés à la poubelle en fin d’année. Chaque stagiaire d’IPE doit remettre un projet en fin de stage. Cette lutte contre le gaspillage est devenue la mienne. A l’école, j’ai incité chaque élève à rapporter le papier gâché pour apprendre à le recycler. »

    Trouvaille simple mais géniale d’Andréa : c’est une entreprise de réinsertion pour les enfants des décharges qui a été choisie comme partenaire.
    « Les enfants, pleins de fierté, enseignent le recyclage aux élèves des familles aisées et les cahiers recyclés sont ensuite envoyés aux élèves moins fortunés. »

    D’année en année, Andréa a réitéré son aventure de manière plus ambitieuse, jusqu’à finalement pouvoir la présenter au ministère de l’Education nationale brésilien. Un exemple, parmi bien d’autres, de la créativité favorisée par la formation d’IPE, qui oblige ses stagiaires à voir grand. Cette ambition correspond à la prise de conscience de Suzana d’une course contre la montre à l’échelle de la planète. Partout autour du globe, des forêts et des animaux sont en danger. Pour étendre son action au-delà des frontières, elle doit la démultiplier. C’est ainsi qu’est née l’université internationale de Nazare Paulista. Dans un cercle vertueux, ces formations payantes financent une partie du budget de l’association IPE. Notre court séjour sur ce campus nous donne ainsi l’occasion de rencontrer plusieurs professeurs et élèves américains.

    […] un professeur de biologie de l’université américaine de Columbia nous déclare : « La préservation des espèces, c’est le travail des biologistes. Mais leur action est vaine si elle n’est pas relayée sur le terrain par des éducateurs comme ceux d’IPE qui savent inventer les moyens d’impliquer les populations locales. Pour moi, leur modèle est le plus prometteur que j’ai rencontré jusque-là. » C’est également à ce titre que le Time Magazine a nommé Claudio et Suzana « héros de la planète ».

     

    Pour lire d'autres histoires d'entrepreneurs sociaux rencontrés par les Cherisey:

    Passeurs d’espoirs, M-H et L. de Cherisey (Tomes 1 et 2)

    Edition Presses de la Renaissance, 2005

    VOIR l'article dans Lectures : http://dacomitenet.jeblog.fr/passeurs-d-espoir-tome-1-de-cherisey-a463792

    (Les droits d'auteurs de ces ouvrages sont reversés au profit d'associations humanitaires. Les droits des films ont été donnés à l'Éducation Nationale, pour que soient donnés des cours d'espoir, que les jeunes découvrent des vies comme celle de Suzana au Brésil, plaquée avec ses trois enfants par son mari, dépressive puis devenue héroïne de l'humanité, avec son postulat « sauver la terre en sauvant l'homme ».)

    http://www.passeursdespoir.org/

     

    Autre lecture :

    80 hommes pour changer le monde, S.Darnil, M. Le Roux

    http://dacomitenet.jeblog.fr/-80-hommes-pour-changer-le-monde-s-darnil-m-le-roux-a405984

     

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