• Bonaparte, Sarkozy, et la démocratie

    On compare Sarko à Napoléon. C'est amusant, parfois. Mais la caricature serait presque trop ressemblante. Le régime sarkozyste n'est pas fasciste, ni dictatorial. Mais il s'éloigne peu à peu de la démocratie. L'opposition peureuse et les médias obéissants y sont pour quelque chose.

    Evoquer le césarisme sarkozyste c'est diriger la lumière sur le personnage, ses discours et ses pratiques, c'est aussi diriger la lumière vers les médias et l'opposition. Le regard porté vers le personnage permet de faire des comparaisons avec des contemporains comme Berlusconi et au passage de montrer l'entourage : les courtisans, les petits et les grands, les « saigneurs » du prolétariat.

    La comparaison montre aussi que le personnage autoritaire n'est pas un dictateur à l'image de l'Italie de Mussolini, de l'Espagne de Franco, du Portugal de Salazar, de la Grèce des Colonels, de la France de Pétain, etc. Cela ne tient pas à une autolimitation du personnage mais renvoie à l'analyse du contexte, celui des institutions qui restent de type « démocratie modeste » en voie de dépérissement, celui des dynamiques à l'œuvre et notamment des oppositions au César et à sa politique qui disposent d'une liberté d'expression.

    Car le sarkozysme n'est pas une dictature militaire ni une dictature de notables. Le régime politique n’est pas dictatorial et encore moins fasciste, même si les traits de la forme pénale et policière de l'Etat se renforcent. Le peuple peut décider, peut voter, peut manifester. Il le peut d’une façon très limitée, très modeste mais il le peut. Pourquoi ne le fait-il pas ou si peu ? Il faudra tenter de répondre à cette question.

    Le rapprochement avec le bonapartisme

    On peut rapprocher ce type de pouvoir personnalisé du bonapartisme, qui admet et même s'appuie sur le suffrage démocratique, mais en effectue un détournement populiste de type extrême-droite (1). André et Francine Demichel (2) définissaient le bonapartisme comme « une dictature de fonctionnaires et de bureaucrates soigneusement triés par le pouvoir. L'institution des préfets est à cet égard très révélatrice ». Les deux derniers conflits du semestre 2009 dans le champ universitaire et celui de l'hôpital montre une volonté de « préfectoralisation », avec la décision de placer des autorités disposant de pouvoirs importants directement subordonnés au volonté du César républicain français.

    Le bonapartisme serait, selon André et Francine Demichel, « la traduction historique d'une situation d'équilibre entre les classes. La bourgeoisie, pour maintenir cet équilibre, est amenée tout en conservant bien entendu son pouvoir économique, à déléguer son pouvoir politique ». Sommes-nous dans cette situation ? La crise financière qui a débouché sur une crise économico-sociale sévère pour les travailleurs a mis en accusation le capitalisme. Evoquer le capitalisme prédateur, c'est un premier élément de gagné au plan de l'idéologie. Un élément faible car d'une part c'est le capitalisme financier et parasitaire qui a été accusé, et d'autre part les dirigeants ont annoncés bien vite leur désir de le « refonder ».

    En face dans l'opposition on trouve les courants pour une alternative systémique de type éco-socialiste et les courants néo-solidaristes (3) qui s'appuient sur J.M. Keynes, E. Durkheim, L. Bourgeois, C. Bouglé dans cadre de la refondation et de l'alternance. L'enjeu est l'unité sans perdre ses spécificités pour évacuer le césarisme démocratique.

    L'offre de changement déçoit une partie du peuple

    l ne suffit pas de dire (3) que les partis de gauche sont divisés et que les syndicats de salariés sont trop nombreux. Certes cette division dans les deux champs de la représentation est problématique mais elle est fondée sur des réalités. Faire l'unité avec le PS au moment où ce dernier penche de tout son corps vers la droite et que certains de ses membres s'y précipitent n'est pas chose facile pour l'autre gauche.

    L’autre gauche est celle qui part en lutte, comme elle peut, avec ce qu’elle a, contre le monde-marchandise. Car c’est bien la logique marchande, si valorisée par le néolibéralisme et notamment l'OMC, qui généralise le dol et la compétition, qui porte de la corruption et du carriérisme chez les élites, de l'individualisme et de la cupidité chez les possédants, et du sécuritarisme au sein de la société. Il faut aussi évoquer la xénophobie institutionnalisée et le racisme multiforme montant, le sexisme qui perdure, la laïcité mise à mal. Mauvaise pente ! C'est peu de dire que cette logique globale fait évidemment le jeu du conservatisme.

    Pour éradiquer le césarisme démocratique, il y a surtout besoin d'autres valeurs qui ne s'imposent pas d'emblée, notamment celle qui préfère la valeur d'usage à la valeur d'échange, celle qui refuse le capitalisme productiviste, celle qui milite pour un nouveau partage du temps de travail contraire au sarkozysme. Il y a besoin d’une vraie gauche avec un autre rapport au peuple, aux travailleurs, aux services public.

    Faut-il rappeler que nous devons tous et toutes participer à la production de l'existence sociale. Cela s'organise politiquement et démocratiquement. Encore faut-il poser le principe républicain. Dans ce cadre, il n'y a pas d'une part celles et ceux qui travaillent 60 heures par semaine à un rythme élevé et avec des sursalaires et d'autre part celles et ceux qui sur le bord regardent trois euros en poche les champions du travail salarié. En conséquence, la gauche mandarinale ne saurait remplacer la droite préfectorale. Or on ne sent pas, c'est le moins qu'on puisse dire, au sein du PS, une gauche qui ose le changement. De celle-là, il ne faut rien attendre, que des coups-bas, avouent de nombreux salariés. Et pourtant pour le coup de boutoir, il va sans doute falloir oser une unité à l'image de celle construite par les syndicats pendant le premier semestre 2009.

    L'insignifiance du monde et le formatage des esprits

    Une mauvaise opposition n'explique pas tout de l'installation du césarisme démocratique. Si l’école démocratique a bien fait monter le niveau scolaire, les médias ont su faire baisser le niveau d’analyse critique. On se trouve donc face à une montée de l’insignifiance du monde de par un double formatage des esprits : celui des médias « libres » en Occident et celui des religions ailleurs.

    Pas tous les médias ; et les religions sont aussi subdivisées. Mais la tendance lourde est là. Et ce formatage se cache derrière le pluralisme. Nous avons le sentiment de choisir notre divertissement. Ce divertissement a très souvent pour trame principale la fuite des questions aujourd'hui posées à l'humanité. Ici, il faut pointer à côté de la fatigue montante au travail l’embourgeoisement relatif d’une partie du peuple-classe. Stratégie du confort et de l’aisance financière la distingue de l’autre partie plus « en-bas » qu’elle. En somme la petite-bourgeoisie indépendante (professions libérales) et la petite-bourgeoisie salariée (les échelons de commandement supérieur du privé et du public) n’ont pas encore subi les effets de la crise, ni même leurs enfants. Certains en perçoivent même encore les fruits.

    La montée de l’insignifiance du monde mène aussi bien au vote Sarkozy qu’à l’abstention, en tout cas au désintérêt de la chose publique. Car il n’y a pas que la montée du religieux, notamment intégriste, à pointer du doigt en ce début de siècle. L’obscurantisme se généralise sur tous les fronts. Les cerveaux se ramollissent. Ils gardent leur efficacité pour l’intelligence technicienne, pour la rationalité instrumentale, celle qui vient qualifier la force de travail. Mais comme citoyen le désert de la pensée progresse sur deux fronts. Les esprits sont de plus en plus coincés entre l’intensification du travail (pour ceux et celles qui travaillent) et l’abrutissement médiatique délivré aussi bien pour le repos du « guerrier économique » que pour le chômeur oisif. A cela s’ajoute le journalisme à sensations qui déploie « le poids des mots et le choc des photos ». La censure existe toujours mais ce n’est pas elle qui formate les esprits à l’acceptation du monde tel qu’il va.

    Jamais les raisons de se révolter n'ont été aussi fortes, jamais les pesanteurs confortables du repli familial et du divertissement médiatique ont été encore plus puissantes. La capacité d’endormissement des consciences par les grands appareils d’influence médiatiques est surprenante. Ils disposent il est vrai de gros budgets, d’experts en techniques de propagande et de désinformation.

    L’idéologie médiatique fonctionne à flux tendu sur les deux registres les plus perturbateurs pour l’individu : d’une part la monstration de ce qui est beau et séduisant - stars ou objets marchands - assimilé à ce que possèdent les riches et qui suscite une envie relative des déshérités, et d’autre part la monstration de ce qui est laid, puant, terrorisant et qui insécurise le peuple tout comme les riches. L’esprit du « chacun pour soi » se marie bien avec l’esprit de consommation marchande lié au besoin de confort généralisé. Comme l’esprit de « lutte des places » s’intègre à merveille à l’esprit de la concurrence généralisée du credo du libéralisme économique. Un tel ensemble génère au mieux un souci de conservation de son pré carré et une demande politique sécuritaire.

    Pourtant, tout n’est pas noir. D’abord, il existe une presse critique. Il existe toujours des réseaux de solidarité de lutte éloignés des tactiques compassionnelles. Il existe un désir d’apprendre et de changer le monde. Il faut qu’il puisse se présenter aux lieux de débats et se confronter aux pensées critiques. Et exiger ensuite la démocratie véritable. Mais la démocratie demande du temps, de la pédagogie, de l'attention. Elle est aussi coûteuse. Mais elle est un des vecteurs du changement.

     

    1) Ambiguïté du mot populisme : Pour les uns, le terme recouvre l'attitude des mouvements politiques de gauche qui veulent le gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple dont ils font partie. Le peuple se distingue ici nettement de la classe dominante la bourgeoisie. On pourrait parler de peuple-classe. L'idéologie déployé est démocratique et égalitariste : justice sociale et justice fiscale. La critique du capitalisme y est courante mais avec des variations et donc des courants divers. Pour les autres, à l'extrême-droite, le populisme est une critique des élites politiques et médiatiques mais pas de la classe dominante. Il ne s'agit pas d'abaisser les pouvoirs de la bourgeoisie mais de remplacer les élites qui font le jeux de l'étranger, qui sont trop tournées vers l'extérieur. Ce populisme nationaliste débouche très souvent sur une xénophobie et un racisme mal cachés. Enfin, le terme est utilisé en sciences politiques pour englober l'un et l'autre des usages. Un terme à manier avec précaution pour qui entend être bien compris.

    2) dans Les dictatures européennes d'André et Francine Demichel (PUF 1973)

    3) Libertés, les blogueurs s'inquiètent : vers le Césarisme démocratique ?

    Retrouvez les articles de Christian Delarue sur le blog Contre-feux
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