• Comment Wall Street a aidé la Grèce à tricher


    Louise Story, Landon Thomas Jr, Nelson D. Schwartz | The New York Times

    La banque Goldman Sachs proposait à l’Etat grec des produits financiers complexes pour lui permettre d’emprunter massivement à l’insu de la BCE.
    Certaines tactiques de Wall Street qui ont alimenté la crise des subprimes aux Etats-Unis ont également renforcé la tempête financière qui secoue aujourd’hui la Grèce et mine l’euro. C’est en effet la banque d’affaires américaine Goldman Sachs qui a aidé Athènes (au cours des dix dernières années) à contourner les garde-fous mis en place par l’Europe en dissimulant des milliards d’euros de dettes aux contrôleurs budgétaires de Bruxelles.

    A l’heure même où la situation devenait explosive en Grèce, les banques s’efforçaient encore de ­trouver des moyens de permettre à l’Etat de retarder le moment où il se trouverait au pied du mur. Début novembre – soit trois mois avant qu’Athènes ne devienne l’épicentre de l’angoisse financière mondiale –, une équipe de Goldman Sachs est arrivée dans la cité antique avec une proposition très moderne pour cet Etat qui avait du mal à payer ses factures. La délégation, qui était dirigée par le président de la banque en personne, Gary Cohn, a présenté un instrument financier qui aurait repoussé le remboursement de la dette sociale loin dans le futur – tout comme un propriétaire aux abois prend un second crédit hypothécaire pour rembourser le premier.

    Les produits dérivés sont au cœur du problème


    Cela avait marché auparavant. ­En 2001, juste après l’adhésion de la Grèce à l’Union économique et monétaire européenne, Goldman Sachs, selon des personnes bien informées avait aidé l’Etat grec à emprunter discrètement plusieurs milliards. Ce schéma, dont le public n’avait pas eu vent parce qu’il était conçu comme une transaction sur devises et non comme un prêt, avait permis à Athènes de respecter les règles européennes en matière de déficit tout en continuant à vivre au-dessus de ses moyens.

    Athènes n’a pas donné suite à la dernière proposition de Goldman Sachs. Mais, à l’heure où le pays gémit sous le poids de sa dette et où ses voisins plus riches promettent de venir à son secours, les montages ­réalisés ces dix dernières années soulèvent des questions sur le rôle de Wall Street dans le dernier drame financier mondial.

    Comme dans la crise des subprimes et l’implosion de l’American International Group [en 2008, le Trésor américain a injecté 180 milliards de dollars dans ce géant de l’assurance pour lui éviter la faillite], les produits dérivés sont au cœur du problème. Les instruments développés par Goldman Sachs, JPMorgan Chase et toute une série d’autres banques ont permis aux responsables politiques de Grèce, d’Italie et peut-être d’autres pays encore de masquer des emprunts.

    Si les agissements de Wall Street n’ont suscité que peu d’intérêt de ce côté de l’Atlantique, ils ont fait l’objet de critiques acerbes en Grèce et dans des magazines comme Der Spiegel, en Allemagne [qui a révélé l’affaire sur son site Internet].

    Ce n’est pas Wall Street qui a créé le problème de la dette européenne. Mais les banquiers ont permis à la Grèce et à d’autres Etats d’emprunter au-delà de leurs moyens – grâce à des contrats parfaitement licites. Il existe peu de règles qui régissent la façon dont un pays peut emprunter l’argent dont il a besoin pour financer par exemple son armée et son système de santé. Le marché de la dette souveraine – le terme de Wall Street pour les prêts accordés aux Etats – est aussi dépourvu d’entraves qu’il est vaste.

    Les banques se sont empressées d’exploiter ce qui était pour elles une symbiose fort lucrative avec certains Etats dépensiers. La Grèce a ainsi versé à Goldman Sachs quelque 300 millions de dollars de commission pour le montage réalisé en 2001, selon plusieurs sources bancaires. Celui-ci reposait sur un type de produit dérivé appelé swap. Le swap de taux d’intérêt, par exemple, peut permettre à une entreprise ou à un Etat de faire face aux fluctuations du coût de ses emprunts en échangeant des remboursements avec intérêts fixes contre des remboursements à taux variable ou vice versa. Un autre, le swap de devises, peut minimiser l’impact de la volatilité des taux de change.

    Avec l’aide de JPMorgan, l’Italie a pu faire davantage. Malgré des déficits persistants, elle a pu ramener son budget dans le droit chemin en échangeant des devises avec cette banque américaine à un taux de change favorable, ce qui a effectivement mis de l’argent dans ses caisses. En contrepartie, Rome s’est engagé à des remboursements futurs qui n’étaient pas comptabilisés comme des dettes.

    des montages portant le nom de figures de la mythologie


    “Les produits dérivés sont très utiles”, commente Gustavo Piga, un professeur d’économie qui a rédigé un rapport sur la transaction italienne pour le Council on Foreign Relations [un cercle de reflexion américain]. “Mais ils deviennent néfastes s’ils servent à maquiller les comptes.” En Grèce, où les montages de ce type portent le nom de figures de la mythologie, la sorcellerie financière est allée encore plus loin. Les autorités ont tout simplement hypothéqué les aéroports et les autoroutes du pays pour emprunter des fonds dont elles avaient désespérément besoin – l’équivalent d’un vide-grenier à l’échelle nationale. Le contrat Eole a ainsi permis à l’Etat de réduire le montant de sa dette en 2001. La Grèce a reçu des fonds immédiatement et s’est engagée à reverser à la banque les recettes futures des taxes d’aéroport. L’année précédente, c’étaient les revenus tirés de la loterie nationale qui avaient été engloutis par un schéma similaire, baptisé Ariane. Le gouvernement avait alors classé ces opérations dans la catégorie des ventes, et non dans celle des emprunts.

    Ce genre de transactions fait controverse depuis des années dans les cercles gouvernementaux. Dès l’an 2000, les ministres des Finances européens avaient débattu de la nécessité de rendre publique l’utilisation des produits dérivés par la “comptabilité créative” [l’art d’arranger les comptes sans pour autant violer la réglementation].

    La réponse fut non. Mais, en 2002, de nombreux instruments qui, comme Eole et Ariane, n’apparaissaient pas dans les budgets nationaux, furent soumis à une obligation d’information, ce qui poussa les Etats à les requalifier en prêts. “Dans plusieurs exemples, la titrisation [transformation de créances en titres négociables] semble avoir été délibérément conçue pour obtenir un certain résultat comptable sans tenir compte de l’in­­t­­érêt économique de l’opération”,

    M. Alogoskoufis, qui a quitté ses fonctions début 2009, nous a déclaré par courriel que Goldman avait accepté par la suite de reconfigurer l’opération “pour restaurer ses bonnes relations commerciales avec la République”. D’après lui, la nouvelle version était plus favorable à la Grèce. En 2005, Goldman a vendu le swap de taux d’intérêt à la National Bank of Greece (NBG), la plus grande banque commerciale du pays, selon deux personnes bien informées. Ensuite, en 2008, Goldman Sachs l’a aidée à intégrer le swap dans une entité juridique nommée Titlos. Selon le fournisseur d’informations financières Dealogic, la NBG a conservé les titres ensuite émis par Titlos, afin de s’en servir comme gage pour des emprunts contractés auprès de la Banque centrale européenne.

    Selon Edward Manchester, de l’agence de notation financière Moody’s, ce swap, qui impose à la Grèce des remboursements à long terme, “ne sera jamais rentable pour l’Etat”.
    relevait en 2008 Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne. Si ces astuces comptables sont sans doute intéressantes à court terme, elles peuvent s’avérer désastreuses à long terme. George Alogoskoufis, qui était ministre des Finances [dans le gouvernement conservateur Caramanlis] avait dénoncé devant le Parlement, en 2005, le montage réalisé en 2001 par Goldman Sachs, estimant qu’il contraignait l’Etat à rembourser de grosses sommes à la banque américaine jusqu’en 2019.



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  • Commentaires

    1
    Lundi 26 Avril 2010 à 12:47
    Certains vont critiquer le fait d'imposer à la Grèce (mais aussi à tous les pays de la zone Euro) une rigueur budgétaire sérieuse. Mais, oui, il le faut car on ne peut durablement dépenser plus que ce que l'on gagne.
    Il faut que les budgets européens (tous, notamment le Français) soient en équilibre voire en excédent. Cela contraindra les autres pays (USA, Grande Bretagne) à beaucoup plus de rigueur et à revoir leur politique financière.
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