• La Tchétchénie : "une zone de non-droit total"


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    rançoise Petre est vice-présidente du Comité Tchétchénie de Paris, une association de soutien aux initiatives humanitaires sur le territoire tchétchène. Elle revient, au lendemain du meurtre de Zarema Sadoulaïeva, directrice de l'ONG "Sauvons la génération", sur les difficultés auxquelles se heurtent les travailleurs humanitaires en Tchétchénie.

    Comment décririez-vous la situation politique actuelle en Tchétchénie ?

    La Tchétchénie est une zone de non-droit absolu. Une tentative d'indépendance a été avortée, suivie de deux guerres, et à l'heure actuelle, les lois de la Conférédation de Russie sont censées s'y appliquer. Mais le président tchétchène, Ramzan Kadyrov, placé au pouvoir par Moscou, ne cache pas sa volonté d'y appliquer ses propres lois, et ce, avec l'aval de la Russie. Depuis le début de la deuxième guerre en 1999, le dispositif "Action anti-terroriste" s'appliquait au territoire tchétchène et couvrait toutes sortes de dérogations au droit. Il a été levé en avril 2009, comme un signal "que tout allait pour le mieux en Tchétchénie, que la guerre était terminée". Sauf que, depuis, les attentats contre les défenseurs des droits de l'homme se sont multipliés.

    Dans quelles conditions travaillent les ONG sur place ?

    Elles sont extrêmement difficiles. L'organisation Memorial, une des premières à s'être implantées sur le territoire tchétchène, a décidé de suspendre son travail, alors qu'elle était présente depuis le début de la guerre et était restée même dans des moments très critiques : le risque est devenu trop grand aujourd'hui. Il y a donc un décalage complet entre les autorités, qui prétendent que la guerre est finie et les ONG, qui ne peuvent même plus travailler.

    Quel est l'impact du meurtre de Zarema Sadoulaïeva sur les ONG en présence ?

    Cet assassinat est extrêmement grave parce qu'une organisation comme "Sauvons la génération" fait un travail purement humanitaire. Ils défendent les droits et les intérêts des enfants mutilés par les mines antipersonnelles. Dans un pays où le service public est déficient, où le système est corrompu et où tout se monnaie, le fait qu'une ONG prenne en charge les victimes sans entrer dans ce système de paiement exorbitant est fondamental.

    D'après vous, pour quels motifs Zarema Sadoulaïeva a-t-elle été assassinée ?

    Le contexte économique favorise l'existence d'une mafia qui tourne autour du pouvoir. N'importe quelle organisation qui reçoit des fonds de l'étranger peut être ciblée pour des raisons purement financières. Autre raison possible, le président Kadyrov, omniprésent dans les médias, se complait dans son rôle de "défenseur de la veuve et de l'orphelin" : toute l'aide qui peut venir aux personnes en difficulté sur le territoire doit venir de lui. Il est possible qu'il considère qu'une ONG humanitaire recevant des fonds étrangers sans passer par lui n'ait pas de raisons d'être. Et puis, pourquoi une ONG aurait besoin de fonds étrangers dans un pays où la situation est "normalisée" ? Il y a peut-être une volonté d'adapter la réalité au discours officiel...

    Comment la population tchétchène peut-elle s'organiser pour faire face à ces menaces et à ces assassinats ?

    Il règne désormais en Tchétchénie un climat de terreur, la population n'ose pas se mobiliser. Quand il y a des rassemblements ou des commémorations, les gens craignent qu'on les prennent en photo, ils ne veulent plus se faire interviewer et finissent par ne plus venir.

    Une contestation s'organise occasionnellement sur Internet, mais elle reste toujours anonyme. Le fait qu'on ait assassiné quelqu'un comme Zarema Sadoulaïeva, qui ne s'était jamais mêlée à la politique, le fait qu'on soit venu la chercher à 14 heures, en plein jour, dans son bureau, accentue encore ce climat.

    Propos recueillis par Célia Héron

    Lemonde.fr
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